Blog / 2022 / Après Janet Sobel: Jackson Pollock et l’Art de l’IA Texte à Image
10 juin 2022
Au cours de mes années en tant que questionneuse du droit d’auteur, j’ai souvent encouragé les artistes à citer leurs sources en parlant de la façon dont cela les aidera à être plus connectés à leur démarche artistique et de comment c’est clairement le comportement le plus éthique. J’ai célébré quand mon propre style a été cité comme source d’inspiration et hué quand mon influence est restée sans reconnaissance. Mais pendant tout ce temps, je n’ai jamais abandonné l’idée que le simple fait de citer faisait toute la différence.
Jusqu’ici.
En apprenant que Jackson Pollock avait cité Janet Sobel—une artiste dont je n’avais jamais entendu parler—comme influence pour ses fameux drippings, j’ai dû admettre que la citation ne suffit pas.
L’histoire est que Pollock et l’un des critiques les plus connus de l’après-guerre, Clement Greenberg, ont tous deux été frappés par l’art de Sobel. Ils l’ont admis publiquement—ouais!—mais, pour autant que je sache, la reconnaissance n’a eu lieu que dans l’essai de Greenberg “Peinture de Type Américain,” publié huit longues années après que Pollock a commencé à faire ses drippings—la honte! Et, loin d’être une mention positive, l’influence de Sobel a été citée avec une salade de mots sexiste.
Pendant ce temps, le succès de Sobel à New York a été de courte durée. Est-ce parce qu’elle a quitté la ville? Parce qu’elle a développé une allergie à la peinture, l’amenant à travailler principalement au crayon et à l’encre après 1948? Ou est-ce que, incité par Greenberg, suffisamment de gens la considéraient comme rien de plus qu’une femme au foyer?
Quelle que soit la raison, il est évident qu’une simple citation ne suffit pas. Le contexte compte.
J’aime imaginer un monde où Greenberg n’était pas misogyne et peut-être même complice de la CIA, travaillant à promouvoir une sorte d’individualisme américain avec l’art de Pollock.* Qu’aurait créé Janet Sobel si des personnes puissantes avaient mentionné son nom sans le qualifier avec des descripteurs qui la rendaient facile à rejeter?
Tout cela m’amène à aujourd’hui, à l’art de l’IA texte à image généré par Midjourney entre autres. Tu peux donnes des instrtuctions à ces logiciels en langage naturel, y compris avec les noms d’artistes célèbres, et ils créent des images selon tes spécifications. Cette technologie crée une situation où n’importe qui peut inventer une image dans le style d’un artiste en particulier, puis, avec la bonne phrase, la réaliser. (Le reportage de Vox sur l’IA texte à image montre quelques exemples intéressants.)
Je n’ai pas accès à Midjourney—j’ai postulé pour la bêta en remplissant un petit questionnaire révélateur, mais apparemment le fait d’avoir un filtre photo nommé d’après mon style ne me rend pas automatiquement assez cool pour accéder à ce logiciel. Pourtant, si je devais deviner, je parierais que “Sobel” ne serait pas compris par le logiciel, du moins pas comme le serait “Pollock.”
Ce n’est pas surprenant, bien sûr. Étant donné que l’intelligence artificielle est un scénario “garbage in, garbage out” et donc pas trop différent du cerveau humain, la technologie ne peut pas être plus intelligente que ses données. Le sort malheureux de Sobel est presque certainement renforcé par la version de l’histoire qu’on a transmis à l’IA.
Mais ce n’est même pas ça qui râpe vraiment mes carottes. Oui, je suis contrariée de découvrir que la créativité d’une femme de plus a été appropriée par des hommes, mais, pour le moment, je suis plus inquiète pour toutes les Janet Sobels à venir. Je parle des artistes dont on connaîtra les noms seulement pour pouvoir les utiliser comme descripteurs d’images, mais dont toute l’histoire et l’humanité—le contexte—resteront obscurcies par une nouvelle figure puissante: l’IA qui non seulement transforme texte en images, mais transforme également toute la vie et l’œuvre d’un artiste en rien de plus qu’une invite.
Citer ses sources est toujours une bonne pratique et quelque chose que, je l’espère, sera intégré à l’IA texte à image, mais le contexte compte plus que jamais.
Par exemple, jusqu’à récemment, je ne savais pas que cette peinture faite en 2018—l’une de mes nombreuses images qui comprend des couches de peinture dégoulinante—devait une dette à une artiste nommée Janet Sobel. Je savais que cela représentait le même genre de masculinité toxique et d’individualisme violent que la CIA promouvait pendant la guerre froide avec l’art de Pollock, mais je ne comprenais pas jusqu’où ce poison touchait.
S’il te plaît, ne laisse pas les futures Janet Sobels disparaître. Fais l’effort de citer tes sources ainsi que le contexte de l’art que t’apprécie. Et, comme toujours, essaie de trouver des moyens d’apporter de l’argent aux artistes que t’adores! Voici comment soutenir mon art.
* Depuis les années 90, c’est connu que la CIA a utilisé l’œuvre de Pollock comme de la propagande. L’agence a fourni des fonds aux philanthropes importants de l’après-guerre pour les permettre d’acheter cet art et le promouvoir dans le monde entier.
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