Blog / 2022 / Parce Que J’étais Si Bonne en Maths

“T’étais si bonne en maths.”

C’est mon père qui m’a dit ça. J’avais à peine 22 ans, et je venais de lancer ma carrière artistique. L’ingénieur qui avait fourni la moitié de mon matériel génétique ne comprenait pas mon choix de devenir artiste.

Mon père avait plein de conseils pour ma carrière. Au début, il a voulu me persuader de prendre le nom de plume Gwenn Liberty, mon prénom et mon deuxième prénom. Je savais qu’il n’avait jamais particulièrement adoré notre nom de famille, mais l’inquiétude qu’il ne voulait pas que mon art lui soit associé a persisté pendant des années, me motivant au moins autant que mon désir de sauver le monde.

Et puis il y avait l’accent mis par mon Papa sur mon éducation financière. Au moment où j’ai commencé ma carrière, il travaillait déjà pour lui-même depuis une décennie. Il a expliqué le processus de noter méticuleusement les revenus ainsi que les dépenses, et il a payé son comptable pour préparer mes impôts cette première année, m’encourageant à utiliser ces formulaires remplis comme modèle lorsque je préparerais ma propre déclaration à l’avenir.

Cette confiance financière a été inestimable, particulièrement au début de mon aventure artistique. Ce savoir-faire ne s’est peut-être pas traduit par un revenu impressionnant, mais il m’a permis de faire face à la question de l’argent dès le départ. Je doute que j’aurais pu vivre entièrement de mon art sans jamais avoir un travail alimentaire si je n’avais pas eu ce bon départ.

Et puis cette formation financière m’a fait comprendre aussi à quel point mon père m’aimait. Même s’il semblait parfois qu’il ne voulait pas que je devienne artiste, son objectif très pratique de m’aider à bien préparer mes impôts m’a fait penser que ça ne le décevait pas tant que ça.

Papa s’est intéressé aussi à au moins un élément de ma créativité. Il détestait l’idée que mon art serait de “l’art qu’on verrait dans un calendrier,” ce qui était une insulte qu’il réservait au kitsch écoeurant que certains artistes produisent. Je me souviens très bien de sa réaction à cette peinture de notre maison familiale que j’ai faite pour mes parents en cadeau après qu’ils l’aient vendu.

Ce détail de notre bien-aimé Rouzic ar Gwellan (le voir dans toute sa splendeur) était trop sentimentale pour mon père.

Quelques années plus tard, Papa m’a engagé pour créer de l’art à partir de cette photo de ma mère et lui. Il cherchait une version de l’image sans rideaux à l’arrière-plan.

Je lui ai fait son image, même si reproduire des photos comme celle-ci en peinture n’est pas ma vocation. À mon avis, cela ressemble en fait un peu trop à l’art qu’on verrait dans un calendrier. Pourtant, j’étais contente de pouvoir faire quelque chose pour lui, car, au moment où j’ai peint ce double portrait, j’avais de plus en plus l’impression qu’il était déçu par la personne que je suis devenue.

Ça allait toujours finir ainsi. Né en 1924 et élevé dans une ferme au milieu de nulle part, sa vision conservatrice du monde avait du sens, mais cela ne m’a pas rendu son sexisme quotidien plus facile à digérer. En grandissant, l’entendre crier “salope” chaque fois que Nancy Pelosi ou Hillary Clinton apparaissait à la télé était déjà assez difficile. Et juxtaposé avec “asshole”—un gros mot qui n’a aucun genre en anglais et qu’il réservait aux hommes politiques qu’il n’appréciait pas—la leçon était claire. Les femmes puissantes provoquaient en lui une colère particulière.

Nos désaccords fondamentaux sur les droits des femmes, les droits LGBTQ, le racisme systémique, et le changement climatique étaient une source constante de stress. Mon père semblait congénitalement incapable d’éviter ces sujets problématiques. Et sachant qu’il avait une fois cessé de parler à son frère pendant dix ans à cause d’une différence d’opinion me rendait congénitalement incapable de répondre. Je changeais toujours de sujet.

Son comportement m’a aussi rendu plus radicale. Plus que n’importe quel modèle féminin dans ma vie, c’est la misogynie et l’homophobie de mon père qui ont fait de moi une féministe et m’ont incitée à annoncer à l’interent que je suis genrefree.

Mon père est décédé le mois dernier.

Déjà, le plaisir qu’il prenait dans chaque repas me manque. C’était une joie absolue dont j’ai définitivement héritée. Et j’ai aussi été surprise par ma peine. Peut-être que la chose la plus étrange qui me manque chez lui est son amour des chiffres.

Pour expliquer: il y a quelques semaines, il y a eu un vernissage pour cette expo. C’était mon premier événement artistique en personne depuis le début de COVID, et, une fois passé, j’étais bouleversée, mais lce qui m’a brisé le cœur n’était pas la fin de la fête. C’est que je me suis soudainement rappelée qu’après chaque célébration que j’ai jamais eue pour mon art, mon père m’a demandé combien de personnes étaient venues. Je n’ai jamais pu estimer très bien, et la question m’énervait. La quantité n’a jamais signifié autant pour moi que la qualité, mais maintenant je suis dévastée que personne m’ait demander les statistiques de ce vernissage.

Mon père ne m’a jamais dit qu’il était fier de moi. Quand j’y pense maintenant, je me rends compte qu’il n’en a jamais parlé non plus à ses fils ou petits-enfants. Mais je sais à quel point Papa a été impressionné par leurs nombreux accomplissements. De leurs études supérieures dans une école hyper réputée et les prix qu’ils ont reçus dans leur industrie à leurs nombreux voyages épiques et exploits d’endurance physique, tout cela l’a fasciné. Ce qui me touche encore c’est à quel point il était triste de manquer le mariage homosexuel d’un de ses petits-enfants en raison de sa santé déclinante. Bien sûr, il ne mettait pas l’accent sur le fait que le mariage était homosexuel, mais il voulait tout savoir sur la célébration.

Il me semble que compter le nombre de personnes venues à mes événements était une façon pour lui d’être fier de moi, même si mes choix et mon art l’ont probablement déçu.

Je suis évidemment toujours en train de découvrir ce que la mort de mon père signifie pour moi, mais je comprends déjà certaines choses importantes:

1. Je suis bonne en maths, et je résiste à l’oppression.
2. Ces qualités améliorent mon art.
3. Mon côté analytique et mon intolérance envers la niaiserie viennent de mon Papa.